lundi 25 janvier 2016

Se forger une identité pour mieux se défendre

Le hockey comme patrimoine immatériel québécois?

11 juin 2015 |Caroline Montpetit      
On doit à Alexander Henderson la plus ancienne photographie de hockey. Il s’agit d’une partie organisée au campus de l’Université McGill, à Montréal, en 1884. En arrière-plan, le mont Royal.
Photo: Alexander Henderson / Bibliothèque et Archives CanadaOn doit à Alexander Henderson la plus ancienne photographie de hockey. Il s’agit d’une partie organisée au campus de l’Université McGill, à Montréal, en 1884. En arrière-plan, le mont Royal.
Fondateur de l’identité québécoise, le hockey sur glace ? C’est ce que croit le Conseil québécois du patrimoine vivant, qui prépare un dossier pour faire reconnaître « notre sport national » comme patrimoine immatériel du Québec, aux côtés du chant de gorge inuit, du canot à glace et de la veillée de danse. Le projet devrait être bientôt soumis à l’attention de la ministre de la Culture et des Communications du Québec, Hélène David.
  Mais si plusieurs croient encore que le hockey est né dans les ruelles glacées de Montréal, un livre a récemment lancé un pavé dans leur mare. Jean-Patrice Martel, président de la Société internationale de recherche sur le hockey, a en effet publié, avec les Suédois Patrick Houda et Carl Gidén, un petit livre à compte d’auteur, On the Origins of Hockey, qui situe les origines de notre sport chéri sur la glace de la… lointaine Angleterre.
  « Au départ, le hockey se jouait avec une balle de bois, raconte M. Martel en entrevue. Puis, pour ne pas se blesser, on a commencé à jouer avec des bouchons de barils de bière en liège. » Son livre avance même que le mot « hockey » serait, selon certains, dérivé du nom d’une bière anglaise appelée Hock Ale, plutôt qu’inspiré du mot français « hocquet », qui signifie bâton de berger, ou même de l’anglais « hooked ».
  Et c’est aussi en Angleterre que le hockey s’est muté en sport de glace sur patins dans la première moitié du XIXe siècle. Le sport était alors pratiqué par la famille royale, et différents récits de la vie à la cour en témoignent. Le livre de Martel cite aussi une lettre du naturaliste anglais Charles Darwin à son fils, datée de 1853. Le père de la théorie de l’évolution des espèces y dit : « Mon cher Will. As-tu trouvé un bel étang pour aller patiner ? J’avais l’habitude de jouer au hocky [sic] sur la glace en patins. »

Tradition anglophone
  Et Montréal dans tout ça ? En fait, la métropole aurait hébergé la première partie de hockey dite « organisée », au Victoria Skating Ring, sur ce qui est aujourd’hui le boulevard René-Lévesque, en 1875. Martel, Gidén et Houda ont retrouvé l’annonce de ce match dans The Montreal Gazette de l’époque. Ensuite, les résultats ont aussi été publiés dans le quotidien anglophone, de même que dans deux autres quotidiens, le Montreal Star et le Montreal Herald.
  « Cela prendra une autre quinzaine d’années avant que les quotidiens francophones s’intéressent au hockey. À l’époque, les francophones n’avaient pas assez d’argent pour faire partie du club privé qui jouait au hockey à la Victoria Skating Ring », raconte M. Martel.
  L’homme insiste : le hockey ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans l’élan et l’engouement qu’il a trouvé à Montréal. L’organisateur du premier tournoi du Victoria Skate Ring, qui était aussi capitaine de l’une des équipes, était James George Aylwin Creighton, un Néo-Écossais venu à Montréal pour travailler. On le considère comme « le père du hockey organisé » et la Société internationale pour la recherche sur le hockey lui a même consacré un monument sur le site de la Victoria Skating Ring. (Notons qu’à l’époque, en français, on ne disait pas « la patinoire », mais « le patinoir », sans e). Ces plaques, qui avaient été dévoilées en 2008 en présence du premier ministre du Canada Stephen Harper, qui a lui-même écrit un livre sur le hockey, n’ont pourtant pas encore été installées par Parcs Canada.
  Et plusieurs villes canadiennes continuent de se disputer la paternité de la pratique du hockey au Canada, sous différentes formes. Dans son livre, Jean-Patrice Martel cite les cas de Windsor en Nouvelle-Écosse, de Halifax, voire de Deline dans les Territoires du Nord-Ouest.
  C’est à cet endroit en effet qu’on aurait joué pour la première fois au hockey au Canada. La preuve en est inscrite dans une lettre de l’explorateur britannique John Franklin, écrite le 21 octobre 1825, au sujet des pratiques de son équipage. « Jusqu’à ce que la neige tombe, écrit-il, la pratique du hockey, joué sur la glace, était notre sport matinal. » Cela ne fait pas de l’endroit le « lieu de naissance » du hockey, mais ce serait, selon Martel, la preuve la plus ancienne d’une pratique de hockey au Canada.
  Origines
  D’autres théories circulent par ailleurs sur les origines du hockey au Canada. Dans leur livre L’Indien généreux, ce que le monde doit aux Amériques, publié aux éditions du Septentrion, Denis Vaugeois, Louise Côté et Louis Tardivel écrivent que « bien avant que la Soirée du hockey n’apparaisse sur le petit écran, plusieurs nations amérindiennes le pratiquaient sous une forme ou sous une autre. C’est du moins ce qu’affirme Warren Lowes dans Indian Giver. Pour lui, l’origine autochtone du hockey ne fait aucun doute et pour le prouver, il s’appuie sur divers témoignages ». Le Lowes en question affirme que l’idée de jouer au hockey avec des patins sur la glace serait venue de militaires britanniques installés à Halifax qui regardaient les Micmacs jouer sur les lacs gelés de Darmouth.
  En réclamant le statut de patrimoine culturel immatériel pour le hockey, le Conseil québécois du patrimoine vivant compte aussi faire connaître le processus qui mène à cette reconnaissance. Car si le hockey n’est pas un sport en manque de fonds publics, d’autres formes de patrimoine vivant assurent difficilement leur survie. Le fait que le hockey soit un sport très populaire « donne une visibilité au processus » de reconnaissance de patrimoine immatériel, dit le directeur du CQPV, Antoine Gauthier. S’il n’exclut pas le hockey professionnel de sa demande de reconnaissance, le Conseil québécois du patrimoine vivant s’intéresse davantage aux ligues de garage et aux associations de hockey amateur.
  Le Conseil du patrimoine vivant est un groupement d’organismes impliqués dans la culture traditionnelle transmise de génération en génération. Il ne compte pas de clubs de hockey dans ses membres, mais « beaucoup de hockeyeurs », ajoute M. Gauthier.
  Le patrimoine immatériel est désormais protégé par la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel et immatériel de l’UNESCO, qui n’a pas été ratifiée par le Canada. Il regroupe des pratiques et un savoir-faire transmis de génération en génération. Le Conseil québécois du patrimoine a l’intention de demander cette reconnaissance pour d’autres pratiques à la ministre de la Culture et des Communications du Québec au cours des prochains mois, mais ne dévoile pas ses projets pour l’instant.

Aucun commentaire: