jeudi 21 avril 2016

Le soccer dans le sang

Le Soccer Dans Le Sang
En 1949, Désiré Defauw, directeur des concerts symphoniques de Montréal, est rentré d’Italie et de Belgique où il a dirigé dix-sept concerts. Lors d’une conférence de presse, il a déclaré être enchanté de son séjour en Italie, où il a constaté les progrès rapides des Italiens dans leur reconstruction :
« L’Italien a un excellent moral et il travaille avec ardeur à la reconstruction de ses villes dévastées par la guerre. Sur le plan artistique et notamment sur le plan musical, l’Italie fait comme à son habitude un travail splendide. »
Pendant son voyage, monsieur Defauw a assisté au baptême des orchestres reconstitués de Naples et de Bologne. En 1949, l’Italie se relevait de la guerre et elle célébrait aussi son troisième anniversaire de la nouvelle république. C’était l’heure de la reconstruction en Italie et celle de la réconciliation à Montréal. En 1948, 10 000 Italiens sont accueillis à Montréal et un an plus tard, ils sont plus de 20 000. Cette année-là également, la communauté italienne récupérera la Maison d’Italie, confisquée lorsque l’Italie entra en guerre aux côtés des Allemands. Un journal francophone rapporte que :
« Les relations avec nos concitoyens d’origine italienne, qui ont joué un rôle dans le développement de la métropole, sont aussi cordiales qu’elles l’étaient avant les jours sombres dont le souvenir est maintenant effacé. »
Pour ajouter à cette réconciliation, une équipe de première division italienne viendra en tournée nord-américaine. Ce projet coïncide avec une époque où le soccer italien vit la plus grande tragédie de son histoire : la disparition du Grand Torino. L’équipe de première division italienne se dirigeait vers un sixième championnat consécutif quand, au mois de mai, de retour du Portugal, l’avion s’est écrasé, tuant tous ses passagers. Quelques mois avant la tragédie, le Grand Torino, avec quatre points d’avance sur l’Inter de Milan au classement de la serie A, avait accepté de faire une tournée nord-américaine.
L’Inter de Milan le remplacera. Le club arrive à New York mercredi, le 6 juillet 1949. Il affronte les sélections locales à New York, au New Jersey et à Philadelphie.
Douze jours plus tard, le matin du 18 juillet, l’équipe arrive en train à la station centrale du CN de Montréal. Les joueurs seront escortés à l’Hôtel de ville pour une brève rencontre avec le maire Camilien Houde, lequel devait aussi donner le coup d’envoi de la partie prévue le soir même entre l’Inter et les joueurs étoiles de Montréal au stade Delorimier. Cependant, par crainte de mauvais temps, la partie sera reportée au lendemain, ce qui ne déplaît pas aux Milanais.
Plusieurs observateurs resteront surpris quand la première équipe du championnat italien, choisit d’élire domicile au Ritz Carlton, l’hôtel le plus prestigieux de la métropole. Un journaliste propose alors que les autres équipes européennes s’établissent dans des hôtels plus modestes, car elles venaient en Amérique pour renflouer leurs coffres, tandis que l’Inter était venu pour une tournée de bonne volonté.
Ce qui est certain, c’est qu’elle était venue avec la volonté de jouer au soccer. L’équipe était composée de grands noms comme Campatelli, qui avait participé à 22 sorties avec la Nationale, Stefano Nyers, champion butteur de la serie A, réputé le plus rapide d’Euro-pe, et l’acrobatique Benin Lorenzi, spécialiste des coups renversés en ciseaux. Les équipes étoiles américaines avaient déjà goûté à la détermination des Milanais. Dans les trois parties jouées aux États-Unis, l’Inter accorda 3 buts et en marqua 25.
Un journaliste montréalais :
« Ces Européens sont venus pour vaincre. Leur entraîneur britannique leur a enseigné le jeu de base et la tactique, mais c’est leur tempérament latin qui leur donne des ailes. Impossible de les freiner, ils attaquent à 3 ou 4 à la fois, circulent le ballon de style anglais, se font des passes courtes comme les Écossais, et leur jeu préféré est de porter le ballon près de la surface de réparation et de faire une passe à un homme libre. »
Le Jour de la rencontre, le stade de base-ball Delorimier sera transformé en terrain de soccer pour accueillir les 6 000 spectateurs qui viendront encourager les touristes. À peine 20 secondes d’é-coulées dans la partie, Doug McMahon surprend tout le monde, y compris le gardien Franzosi, en marquant le premier but pour les étoiles montréalaises. Les tifosi, en majorité, ont dû attendre à la 27e minute pour voir Bearzot compter le premier but milanais. À la fin de la demie, l’Inter avait seulement un avantage de deux buts. Les étoiles montréalaises, sans jamais espérer emporter la rencontre, souhaitaient tout au moins sauver l’honneur en donnant une meilleure prestation que ne l’avaient fait les étoiles américaines. L’objectif semblait déjà à moitié atteint avec un but de Willie Gammon à la dixième minute de la seconde moitié, portant le score à 2-3.
Mais ce but montréalais suffit pour réveiller les Italiens. Amadeo Amadei, qui avait déjà marqué, ajouta un but à la 14e et un autre à la 16e.
Doug Campbell, du Montreal Star :
« En l’espace de 14 minutes, ils ont marqué 6 buts. Avec Amadeo, Campatelli, Nyers, Bearzot, Armano et Lorenzi, forment une ligne atomique qui aurait pu battre n’importe quelle équipe anglaise de première division. »
Campatelli enfile alors 3 autres buts aux 19e, 22e et 25e minutes, portant le résultat final à 9-3. Les journalistes montréalais n’auront que des paroles d’adulation pour l’Inter et s’attarderont sur la victoire sportive sur le terrain.
Pourtant, la valeur de la victoire sportive représente peu comparativement à ce que la tournée nord-américaine de l’Inter fera pour la promotion du soccer italo-américain. Plus qu’une tournée de bonne volonté, celle de l’Inter donnera le coup de pouce nécessaire pour faire naître le soccer italien à Montréal et dans plusieurs autres grandes villes nord-américaines.
Quand les promoteurs de soccer fêtaient l’inauguration du stade Faillon en 1959, ils célébraient aussi en quelque sorte la prise en main du soccer par les communautés ethniques de Montréal. Parmi les communautés montréalaises, la communauté italienne, ayant elle aussi le soccer dans le sang, ne se contentera pas d’un rôle secondaire.


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