Le Soccer
Dans Le Sang
En 1949, Désiré Defauw, directeur des
concerts symphoniques de Montréal, est rentré d’Italie et de
Belgique où il a dirigé dix-sept concerts. Lors d’une conférence
de presse, il a déclaré être enchanté de son séjour en Italie,
où il a constaté les progrès rapides des Italiens dans leur
reconstruction :
« L’Italien a un excellent moral et
il travaille avec ardeur à la reconstruction de ses villes dévastées
par la guerre. Sur le plan artistique et notamment sur le plan
musical, l’Italie fait comme à son habitude un travail splendide.
»
Pendant son voyage, monsieur Defauw a
assisté au baptême des orchestres reconstitués de Naples et de
Bologne. En 1949, l’Italie se relevait de la guerre et elle
célébrait aussi son troisième anniversaire de la nouvelle
république. C’était l’heure de la reconstruction en Italie et
celle de la réconciliation à Montréal. En 1948, 10 000 Italiens
sont accueillis à Montréal et un an plus tard, ils sont plus de 20
000. Cette année-là également, la communauté italienne récupérera
la Maison d’Italie, confisquée lorsque l’Italie entra en guerre
aux côtés des Allemands. Un journal franco

phone rapporte que :
« Les relations avec nos concitoyens
d’origine italienne, qui ont joué un rôle dans le développement
de la métropole, sont aussi cordiales qu’elles l’étaient avant
les jours sombres dont le souvenir est maintenant effacé. »
Pour ajouter à cette réconciliation,
une équipe de première division italienne viendra en tournée
nord-américaine. Ce projet coïncide avec une époque où le soccer
italien vit la plus grande tragédie de son histoire : la disparition
du Grand Torino. L’équipe de première division italienne se
dirigeait vers un sixième championnat consécutif quand, au mois de
mai, de retour du Portugal, l’avion s’est écrasé, tuant tous
ses passagers. Quelques mois avant la tragédie, le Grand Torino,
avec quatre points d’avance sur l’Inter de Milan au classement de
la serie A, avait accepté de faire une tournée nord-américaine.
L’Inter de Milan le remplacera. Le
club arrive à New York mercredi, le 6 juillet 1949. Il affronte les
sélections locales à New York, au New Jersey et à Philadelphie.
Douze jours plus tard, le matin du 18
juillet, l’équipe arrive en train à la station centrale du CN de
Montréal. Les joueurs seront escortés à l’Hôtel de ville pour
une brève rencontre avec le maire Camilien Houde, lequel devait
aussi donner le coup d’envoi de la partie prévue le soir même
entre l’Inter et les joueurs étoiles de Montréal au stade
Delorimier. Cependant, par crainte de mauvais temps, la partie sera
reportée au lendemain, ce qui ne déplaît pas aux Milanais.
Plusieurs observateurs resteront
surpris quand la première équipe du championnat italien, choisit
d’élire domicile au Ritz Carlton, l’hôtel le plus prestigieux
de la métropole. Un journaliste propose alors que les autres équipes
européennes s’établissent dans des hôtels plus modestes, car
elles venaient en Amérique pour renflouer leurs coffres, tandis que
l’Inter était venu pour une tournée de bonne volonté.
Ce qui est certain, c’est qu’elle
était venue avec la volonté de jouer au soccer. L’équipe était
composée de grands noms comme Campatelli, qui avait participé à 22
sorties avec la Nationale, Stefano Nyers, champion butteur de la
serie A, réputé le plus rapide d’Euro-pe, et l’acrobatique
Benin Lorenzi, spécialiste des coups renversés en ciseaux. Les
équipes étoiles américaines avaient déjà goûté à la
détermination des Milanais. Dans les trois parties jouées aux
États-Unis, l’Inter accorda 3 buts et en marqua 25.
Un journaliste montréalais :
« Ces Européens sont venus pour
vaincre. Leur entraîneur britannique leur a enseigné le jeu de base
et la tactique, mais c’est leur tempérament latin qui leur donne
des ailes. Impossible de les freiner, ils attaquent à 3 ou 4 à la
fois, circulent le ballon de style anglais, se font des passes
courtes comme les Écossais, et leur jeu préféré est de porter le
ballon près de la surface de réparation et de faire une passe à un
homme libre. »
Le Jour de la rencontre, le stade de
base-ball Delorimier sera transformé en terrain de soccer pour
accueillir les 6 000 spectateurs qui viendront encourager les
touristes. À peine 20 secondes d’é-coulées dans la partie, Doug
McMahon surprend tout le monde, y compris le gardien Franzosi, en
marquant le premier but pour les étoiles montréalaises. Les tifosi,
en majorité, ont dû attendre à la 27e minute pour voir Bearzot
compter le premier but milanais. À la fin de la demie, l’Inter
avait seulement un avantage de deux buts. Les étoiles
montréalaises, sans jamais espérer emporter la rencontre,
souhaitaient tout au moins sauver l’honneur en donnant une
meilleure prestation que ne l’avaient fait les étoiles
américaines. L’objectif semblait déjà à moitié atteint avec un
but de Willie Gammon à la dixième minute de la seconde moitié,
portant le score à 2-3.
Mais ce but montréalais suffit pour
réveiller les Italiens. Amadeo Amadei, qui avait déjà marqué,
ajouta un but à la 14e et un autre à la 16e.
Doug Campbell, du Montreal Star :
« En l’espace de 14 minutes, ils ont
marqué 6 buts. Avec Amadeo, Campatelli, Nyers, Bearzot, Armano et
Lorenzi, forment une ligne atomique qui aurait pu battre n’importe
quelle équipe anglaise de première division. »
Campatelli enfile alors 3 autres buts
aux 19e, 22e et 25e minutes, portant le résultat final à 9-3. Les
journalistes montréalais n’auront que des paroles d’adulation
pour l’Inter et s’attarderont sur la victoire sportive sur le
terrain.
Pourtant, la valeur de la victoire
sportive représente peu comparativement à ce que la tournée
nord-américaine de l’Inter fera pour la promotion du soccer
italo-américain. Plus qu’une tournée de bonne volonté, celle de
l’Inter donnera le coup de pouce nécessaire pour faire naître le
soccer italien à Montréal et dans plusieurs autres grandes villes
nord-américaines.
Quand les promoteurs de soccer fêtaient
l’inauguration du stade Faillon en 1959, ils célébraient aussi en
quelque sorte la prise en main du soccer par les communautés
ethniques de Montréal. Parmi les communautés montréalaises, la
communauté italienne, ayant elle aussi le soccer dans le sang, ne se
contentera pas d’un rôle secondaire.